Le pêcheur (ou le promeneur) sera probablement intrigué par ce pont à l’aspect ancien situé au beau milieu d’un bois, en limite communale avec Saint-Martin de Jussac. Peut-être est-ce là l’origine d’une légende récente qui voudrait que le roi Louis XI, venant de Verneuil pour se rendre à Saint-Junien en pèlerinage à Notre-Dame du pont l’aurait emprunté.

Mais ce pont, dont l’aspect n’a rien de médiéval (pas d’arche en arc brisé, pas de pile à éperon et/ou refuge), n’est pas même présent sur les planches du cadastre napoléonien dressé en 1822. C’est seulement une vingtaine d’années plus tard qu’il sera construit, sur l’ancien chemin reliant Saint-Junien au village de chez Robinet, à l’emplacement d’un passage à gué sur le ruisseau l’Aubinerie.

Face aux inondations régulières que subissent ses champs par temps de pluie, Auguste Roche, propriétaire du domaine agricole de Chez Robinet, va proposer aux communes de Saint-Junien et de Saint-Martin de Jussac de faire don des parcelles de terrains et des matériaux nécessaires à l’édification d’un pont sur le chemin en échange de la construction d’un double aqueduc pour drainer ses champs. Le 14 mai 1845, le conseil municipal de Saint-Junien valide les travaux proposés et raccorde le pont au chemin reliant la ville à la ferme de Chez Robinet.

En 1868, le département décide de la création d’un chemin allant de Saint-Victurnien à Chaillac en passant par Saint-Martin de Jussac, et le fait passer par le pont Robinet. Le chemin, malgré son classement en chemin de Grande Communication n°116 en 1881, reste étroit et l’arrivée au pont, en venant de Saint-Junien, est extrêmement dangereuse. En effet, après une grande descente, l’arrivée sur le pont se fait presque à angle droit, entraînant de multiples accidents, parfois mortels, notamment chez les cyclistes.

Le pont est régulièrement endommagé par les inondations causées par les crues parfois très importantes du ruisseau. Le terrible orage du lundi 12 juillet 1897, qui va anéantir les récoltes de bon nombre d’agriculteurs des cantons de Saint-Junien et Saint-Laurent-sur-Gorre, va pratiquement le détruire. La question de sa reconstruction (plus en amont et avec un autre axe) et des modifications de ses abords se pose dès le mois suivant, mais les différents projets ne seront jamais suivis de faits, en raison de la faible fréquentation du chemin et du manque de moyens du département.

Il faut attendre 1933 pour que le conseil général vote la construction d’un nouveau pont, à une cinquantaine de mètres en amont du précédent et en rectifiant la route. Les travaux seront réalisés au cours de l’année 1937, donnant à la route l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui. Dès lors, le pont sombre dans l’oubli. A l’occasion d’un recensement du patrimoine vernaculaire de la commune, l’état du pont va attirer l’attention de la municipalité et son état est jugé préoccupant. Les culées et les parapets, envahis par le lierre montrent des signes de faiblesse.  Le conseil municipal va décider de sa restauration fin 2023. Les travaux, réalisés par l’entreprise SOTEC à Limoges au printemps 2024 et subventionnés à 60% par l’état et 20% par le département ont permis de consolider le pont en plus de lui redonner son aspect d’antan.

Pour en savoir plus

Archives Municipales de Saint-Junien, 1 O 5 : Ponts, ponceaux et passerelles : correspondance, construction, réparations et travaux d’entretien, plans (1822-1945)
Archives Départementales de la Haute-Vienne, 2 S 1146, chemin de grande communication n°116 de Saint-Junien à Saint-Victurnien (1863-1937)
Le chercheur d’Or n°92 (avril 2024), bulletin trimestriel de la société des vieilles pierres, supplément à l’édition du 4 avril 2024 de l’Abeille – Le Nouvelliste